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Lettre à papa: autiste, 3

Dernière mise à jour : 28 mai 2023

Aimer jusqu'à ... en mourir ?


Papa.




Aimer les livres. N'aimer que les livres, la lecture et la culture. Cultiver la connaissance comme d'autres cultivent un jardin, se nourrir d'informations alors que d'autres se nourrissent d'aliments. Aimer à travers les livres, par les livres, par le média du livre; objet vital pour toi, tu avales l'encre et les mots sans jamais en être rassasié. Ton cœur bat pour apprendre et engranger des connaissances, encore et toujours, et sans fin; ni finalité, d'ailleurs, puisque tu n'en fais rien, de ces infinies lectures chronophages, toi le bibliophile papivore, amant des lettres et des mots. Mon papa. Lecteur impénitent, insatiable et toujours en quête de stimulations intellectuelles. Tu auras aimé les livres... jusqu'à en mourir, dans ton appartement Diogène envahit de papiers journaux et bouquins, tes trésors de pirate à toi, tes biens les plus précieux, ces lectures immortelles de ton cœur, de ton âme liées à tes connaissances innombrables. Oh papa. Inatteignable dans les hauteurs de ta sphère intellectuelle, ta bulle mentale qui ne tourne qu'autour de toi-même et de tes intérêts spécifiques, lecture et culture ton seul et unique intérêt particulier, ta seule qualité, ton unique force, ton seul bien. Ton seul amour.


La terre tourne autour du soleil. Ta tête tourne en boucle autour des livres et journaux.

Tu tournes autour de toi-même comme ces derviches tourneurs que tu as tellement aimé voir et rencontrer en Turquie, à Konya avec maman enceinte de moi, ta première fille: une des grandes joies de ta vie! Avec maman qui me portait, enceinte. Et moi, plus tard, après votre divorce, ton enfant, petit satellite livré à lui-même, petite planète abandonnée sur elle-même, j'ai cherché ma vie entière à te trouver, papa, à m'accrocher en orbite autour de toi, à trouver mon axe, mon centre de rotation, autour d'une paternité (rêvée) qui me rassurerait et s'occuperait de l'enfant que j'étais, que je suis toujours, au fond de moi.

Aujourd'hui je comprends que tu ne seras jamais ma galaxie.

Mon centre de gravité ne pourra définitivement, jamais, s'accrocher à toi, mon père, négligent et irresponsable.


A l'heure où tu chemine pour quitter ce monde, demain ou dans longtemps, mon papa que j'aime à sens unique, j'apprends que tu ne feras jamais partie de mon univers, éternel absent de ma vie d'enfant, de fille et de femme. A moins que... si j'étais un LIVRE, tu m'aurais aimée comme tu les a aimés, ces objets de papiers, arbres remplis d'encre qui poussent en ton cœur. Tu as aimé les livres, jusqu'à presque en mourir... dessus-dessous et à côté, sauvé in extremis avant le coma diabétique par mon appel aux pompiers, de l'autre bout du pays. Moi papa je t'ai aussi aimé, jusqu'à en mourir, ou presque... Je t'aime toujours papa, et j'accepte aujourd'hui de vivre avec cette NON-réciprocité de la relation avec toi. Mais, avant de continuer à t'aimer jusqu'à en mourir, je dois encore vivre, papa si cher à mon cœur. Je dois vivre pour aimer et prendre soin de mes enfants, aujourd'hui. Alors je dois te quitter intérieurement, en quelque sorte, papa. Renoncer à l'idée de réparer l'irréparable. Accepter de vivre avec le manque de toi à jamais comblé. Faire le deuil du père que tu n'as jamais été en actes. Accepter la réalité de tes carences paternelles envers moi, ta petite fille devenue adulte sans toi. Peut-être est-ce cela la maturité ? Quitter ses illusions ? Et accepter de contempler la réalité en face, quel qu'en soit le prix à payer ? Affronter la vérité de la réalité crue et nue, dépouillée de ses filtres et douloureuse.

Aimer jusqu'à en mourir... ? Aimer... et laisser mourir ce qui n'a jamais existé: la pensée d'un papa-présent à mes côtés, pour affronter les épreuves de l'existence. Mort et deuil de la croyance que papa, un jour, sera là, à côté de moi, pour porter le poids de la vie et la traverser. Aimer... sans se laisser mourir du vide de toi, papa. Aimer, et choisir de vivre. Même sans toi, papa. VIVRE. Et continuer à aimer.


Ton aînée, Wangmo

2023

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