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Lettre à papa: autiste, 2

Dernière mise à jour : 28 mai 2023

La parole.… sans les actes





Si cher Papa, aujourd'hui j'apprends que tu as un début de trouble neurocognitif. La moitié de ton cerveau n'est plus là, partie, déjà. Mémoire, raisonnement, jugement, orientation et langage sont altérés, diminués de moitié. Ton cerveau, c'était ta plus grande qualité. Ce qui fonctionnait non pas le mieux, mais au-delà, la meilleure partie de toi. Ce qui te permettait de rêver, de croire à l'impossible, de bâtir des châteaux en Espagne, de faire des plans sur la comète. Bien sûr, ces rêves, tu étais le seul à y croire, n'ayant pas le filtre du quotidien, du réel pour t'en montrer l'impossibilité.

Mais c'était chez toi ta façon, aussi, de dire ton amour à tes proches. Inhabituelle certes, décalée toujours, inadéquate et maladroite.

Cependant, aimer maladroitement, n'est-ce pas aimer, finalement ?

Aimer autrement, avec son propre langage. Incompréhensible si l'on n'a pas le décodeur. Mais pas forcément non-préhensible... C'est-à-dire que ton amour peut être saisi, compris, si l'on en a la traduction. Car chez toi, c'est la parole qui prouve l'amour (cf. post Une histoire pour toi papa ) et non les actes.

Cette logorrhée, ce goût exclusif, cette habitude dominante de ne parler que de ce qui t'intéresse, intellectuellement. Mon papa monomaniaque du " blabla" continuel. Te voilà aujourd'hui saisi de mutisme, toi le bavard impénitent. Je te perd papa. Ou du moins, comme tu perds un partie de ton cerveau du fait de la maladie, je perds déjà une partie de toi. Un morceau de toi qui s'en va, un morceau de moi qui meurt avec toi. Un deuil. Ses prémisses. Aujourd'hui les reproches ne sont plus de mise pour moi. Il est trop tard pour les remontrances. Il n'est plus temps de te réprimander pour toutes tes nombreuses failles paternelles à mon égard. Il ne reste que le temps de la bienveillance, dans ce moment où tu perds une partie de ce qui faisait ton identité profonde. Tu restes le papa de ma vie, celui qui m'a donné la vie. Tu n'as pas su m'accompagner dans cette vie. J'ai irrémédiablement, irrévocablement et irréparablement grandi sans toi. Mais cela ne signifie pas que tu ne m'as pas aimée. Merci papa pour la vie, ma vie que tu m'as donnée. À l'heure où tu chemine vers le déclin, crépuscule et début de la fin de ta vie, je fais encore mémoire de toi, papa. Et je me souviens que sans toi, je ne serais pas. Et je chante pour toi avec Édith:"Non, rien de rien Non, je ne regrette rien. Ni le bien qu'on m'a fait… Tout ça m'est bien égal. Non, rien de rien. Non, je ne regrette rien. C'est payé, balayé, oublié. Je me fous du passé". "Non rien de rien je ne regrette rien": ni le bien qu'on ne m'a pas fait, ni le mal qu'on m'a fait, bien involontairement et inconsciemment de ta part, par ton départ et ton absence de ma vie, dans ma vie, papa. Ta dette paternelle, envers moi ton aînée, est effacée: parce que maladroitement, tu as aimé, tu m'as aimée. Pas quantitativement, ni qualitativement. Mais véritablement, pourtant. Je ne regrette rien. Ni ta mort prochaine ni ma vie. Ni ma vie, ni ta mort à venir, papa. Et lorsque toutes les fautes seront effacées,

«Souviens-toi de lui pour la vie,

O roi qui désire la vie...

et inscris-le dans le Livre de la Vie» (Rituel de Roch ha-Shana),

lui, mon papa, qui aime tant les livres.


2023,

Wangmo


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