Puisque tu partiras un jour ...
une histoire pour toi, papa
Papa c'est comme une chaise à 3 pieds: un peu bancale, en constante recherche d'un équilibre auquel il serait impossible de parvenir. Sa vie entière à un peu été comme une vie de bâtons de chaise: constamment soulevés, manipulés, tirés et replacés, et jamais en repos. Comme les bâtons de la chaise à porteur, sa vie n'a jamais été vraiment reposante, du fait de la suractivité continuelle de son cerveau, jamais en repos. Il n'a pas la possibilité d'enlever la prise, le courant. Même lorsque les bâtons de la chaise à porteur étaient enlevés pour dégager la porte, ces mêmes bâtons, (qui au Moyen-âge accompagnaient les porteurs jusque dans les bars de l'époque) pouvaient encore être utilisés, déplacés... De même l'activité excessive de son cerveau, papa, avec une mémoire au-dessus de la moyenne et des connaissances encyclopédiques. Ce cerveau qui continue de tourner en surrégime, non-stop, même assis à lire le journal au "bistrot". Papa, c'est un cerveau hors-normes, certainement neuroatypique. Une personnalité exceptionnelle, avec un décalage abyssal entre son monde de "bulle intellectuelle" et la réalité vraie du quotidien-ordinaire-concret de la vie, que son super cerveau ne sait pas gérer. En dehors du fait de trouver des stratégies de survie adaptatives pour compenser cette forme d'inaptitude pour la vraie vie, notamment en se reposant sur les autres. Comme ses relations sociales d'ailleurs, souvent maladroites et à sens unique. Avec lui, il y a une forme de NON-réciprocité de la relation, parfois douloureuse, pour ses proches. Il peine réellement à prendre conscience des préoccupations et besoins d’autrui. C'est un homme profondément bon, mais dans l'incapacité de prendre soin, et de lui-même, et des siens. Une sorte peut-être de "handicap" invisible, jamais nommé, jamais verbalisé. Jamais diagnostiqué non plus, sauf récemment en 2023.
Il avait pourtant une certaine forme de lucidité quand à ses incompétences, qui lui ont fait porter un poids de culpabilité difficilement mesurable, mais qu'il a verbalisé sa vie durant. Sans avoir jamais eu aucune aide, ni soutien, ni explications du pourquoi-du-comment du fonctionnement différent de son cerveau, fonctionnement A-normal dans le sens hors-normes, au-delà et au-dessus de la norme.
Aujourd'hui je pense que tout le monde serait d'accord pour dire qu'il avait un haut potentiel intellectuel, avec ou sans diagnostic, ceux qui l'ont connu le reconnaîtront là-dedans. Mais peu savaient qu'il devait probablement cumuler le fonctionnement d'un QI au-dessus de la moyenne avec un trouble du spectre autistique, autrement dit syndrome d'Asperger ou encore TSA SDI: diagnostiqué officiellement et médicalement maintenant.
Aujourd'hui, il est peut-être trop tard pour l'entourer et l'aider à prendre conscience de cela.Il n'a plus la force mentale, l'énergie vitale nécessaire à un tel cheminement. Il vient déjà d'être tellement bousculé par la mise en lumière de son syndrome de Diogène, qu'il avait réussi jusqu'à présent à cacher aux siens.Mais cela ne changera rien papa à ce que tu es, tu es mon papa. Infiniment absent dans ma vie depuis ton divorce. Mais aujourd'hui je comprends que ce vide immense qui m'habite, depuis ton départ du Moulin en Suisse, lorsque j'avais 4 ans; et bien, j'ai compris que ce vide en moi, n'était pas volontaire de ta part. J'ai compris que, même si tu a été souvent bien incapable de t'occuper de la petite fille que j'étais, cela n'a pas empêché que tu m'aies aimée, à ta façon et selon tes paramètres.
Contrairement à l'adage qui dit que les actes prouvent l'amour, chez toi c'était l'inverse. Je ne compte pas beaucoup d'actes paternels pour me prouver ton affection, mais beaucoup de paroles, de stimulations intellectuelles, de rêves, d'histoires et de projets... jamais aboutis. Je te pardonne maintenant parce que je crois à ton amour.
Je t'aime mon papa. Et j'écris ci-dessus cette micro-histoire, ce post/billet de ta vie pour te le dire, Puisque tu pars (Goldman), un jour, prochainement ou dans longtemps… ton enfant, Wangmo (2022)
Comments