1982-1986, de 7 à 10 ans
Malheureusement, il va falloir parler de lui. Beaucoup de proches seront surpris. Je ne parle jamais de lui, même pas à mes enfants. Mais je ne peux pas faire faire l’impasse sur 10 années pendant lesquelles j’ai dû apprendre à le supporter, jusqu’à finir par le détester. L’être humain reste un mystère, rien que le fait d’écrire à propos de lui, bientôt 40 ans après, quasiment, est déjà éprouvant! Prononcer son nom me donne déjà la nausée...
Donc, nous sommes toujours au «château» dans un petit village suisse à la campagne.
J’ai ainsi appris le harcèlement à l’école, c’était une option facultative, gratuite et qui fait beaucoup de mal; qui m’a été donnée contre mon gré, en supplément de l’apprentissage de la lecture. Revenons à ce beau-père.... Reconnaissons honnêtement qu’il aura fait une chose bien pour moi, il a stoppé le harcèlement des grands du village dont j’étais la cible. Il a suffit qu’il en attrape un: il lui a mis tellement la frousse que tout s’est arrêté! Cela vous donne aussi une idée du personnage.
Ceci dit… maman l’a épousé,ce personnage antipathique, devenu «le» et jamais «mon» beau-père. J’étais triste à ce mariage, mais personne ne le voyait. On remarque que je ne souris pas sur les photos, mais personne n’a jamais imaginé mon état intérieur. Maman avait cru me faire plaisir en «régularisant» sa situation; seulement j’avais été tellement choquée, sidérée, stupéfiée quand ils nous ont annoncés leur futur mariage que j’étais bien incapable de donner mon avis et dire ce que j’en pensais. Bref, me voilà avec un beau-père encombrant, auquel je refusais intérieurement, invisiblement et définitivement de faire acte d’allégeance. Personne ne remplacerait jamais mon papa! Et cette famille reconstituée ne serait jamais ma vraie famille! Mais… peu à peu, petit à petit, cela a pris une dizaine années quand même, l’étau à commencé à se resserrer et l’emprise a gagné en puissance au cours des années. Cependant nous n’en sommes pas encore là, à ce moment du récit, autobiographique.
En quelque sorte, c’est ce beau-père qui m’a élevée, et maman qui faisait bouillir la marmite. C’est à dire que maman travaillait et que le beau-père s’occupait du foyer, déjà moderne le couple!
On m’a souvent dit qu’il était plus facile de guérir intérieurement d’un excès de structure, de cadre que d’un manque de limites; personnellement, je reste dubitative quant à cette théorie…?
Toujours est-il que moi, si sauvage et libre, j’ai bel et bien été domptée, à défaut d’être éduquée.
Heureusement, à cette même époque il y a eu notre premier chien, mon plus beau cadeau de Noël. C'était un grand dogue allemand, puissant et rapide. Elle dormait avec moi, ou plutôt je dormais avec elle sous mon matelas; elle m’accompagnait dans mes ballades, compagne fidèle. Mais cette accalmie a peu duré car elle a sauté du deuxième étage pour aller manger un mouton, mouton qui fut recousu devant mes yeux (réparé et donc sauvé, je crois) par le médecin venu vivre au château. A cause du mouton, cela nous a mis le village entier à dos, vivants à la campagne et étant entourés d’agriculteurs, et sans barrières… Le mouton de la ferme d’à côté du château, et ses pairs, furent épargnés, le chien sacrifié et piqué. J’ai donc perdu cette précieuse amie. Déjà le marronnier plus que centenaire tronçonné, puis mon deuxième ami: mon chien. Ah, les adultes font parfois des choix étranges aux yeux des enfants…
Retour à l’école. Le harcèlement ayant cessé, je fus une (très) bonne élève (16/20 de moyenne générale au primaire en Suisse), en ne faisant rien, sauf regarder les arbres par la fenêtre, bien plus intéressants que le tableau noir.
«Tu trouveras bien plus dans les forêts que dans les livres», Bernard de Clairvaux.
Je courais tout le temps dehors après l’école. Je n’ai buté que sur les tables de multiplication pendant mes années de primaire, apprises malgré tout, bien qu’il me reste toujours quelques multiplications définitivement non acquises. Pendant les récrés, puisqu’on me laissait tranquille maintenant, je m’éloignais toujours du groupe pour observer les jeux des autres enfants, je déclinais leurs invitations aux jeux. Ou bien alors je ne participais que lorsque j’étais sûre de bien faire, en imitant les autres; mais attention, si les règles changeaient, j’étais perdue! J'essayais de ne pas faire d'erreurs sociales visibles. Je pense que c'était déjà une stratégie de camouflage bien rodée. Il y avait en récré un petit garçon qui parlait très peu, calme et isolé: je me mettais souvent près de lui et nous regardions les autres. J’étais bien ainsi. Je n’ai jamais eu d’amis avant mon adolescence, mais cela ne m’ a pas manqué. Je ne me suis jamais sentie seule, juste bien.
Après les collections de chenilles, chrysalides et papillons vint la collection de Barbies, sorte d'amies intimes, qui me permettaient de rejouer le jeu social observé chez mes pairs, avec lesquelles je pouvais jouer, seule, pendant des heures. Maman m'avait construit une maison pour elles, grande comme ma taille, enfin, presque... la petite maison. Elle m'avait construit des meubles en bois, cousu des couettes et tout l'aménagement pour mes poupées. Pour les critères campagnards de l'époque, ma collection était foisonnante, j'avais vraiment beaucoup de Barbies! Celles-ci étaient extrêmement bien habillées de somptueux atours princiers, ce qui, bien que vivant dans un château, n’était franchement pas mon cas… En réalité mon style vestimentaire ressemblait plus à ce qu’à l’époque on appelait « garçon manqué », avec les cheveux bien courts car le confort (de ne pas avoir à les entretenir…) était déjà essentiel pour moi, plus que mon aspect extérieur. Caractéristique que j’ai gardée à l’âge adulte : mon apparence reste une non-priorité, non-essentielle; je ne suis jamais habillée à la mode d’ailleurs. En réalité, aujourd’hui, si je m’écoutais vraiment, je me vêtirais en orange des pieds à la tête, tous les jours. C’est ma couleur préférée. Seulement c’est un goût qui n’est pas vraiment partagé par mes proches, aussi est-ce pour ne pas leur faire honte que je ne le fais pas.
Actuellement, je préfère toujours m’acheter un livre plutôt qu’un vêtement, au grand dam de mes proches…
Wangmo
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