1993-2005
Comment parvenir à expliquer ce qu’est réellement une vie communautaire, telle celle que j’ai vécue 12 ans de suite, à des personnes extérieures, spectatrices finalement?
Une vie silencieuse, ritualisée, organisée quels que soient les événements extérieurs qui pourraient intervenir: définition de la vie monastique {ndlr: similitudes avec la vie communautaire}
par Astrid (signe particulier: autiste) à / et Raphaëlle
in Memento Mori, saison 3, épisode 2, série télévisée.
Prière, travail et repos sont répartis en parts égales. Les jours se suivent et SE RESSEMBLENT TOUS, TOUJOURS: prières communes chantées, alternées avec de la méditation SILENCIEUSE, SEUL dans sa chambre ou dans la nature; travail généralement en SILENCE, souvent seul, ou parfois avec un autre, rarement à plusieurs; repas souvent en silence, sauf les jours de fêtes et les dimanches; réunions communautaires une fois par semaine et repos. C’est un groupe social extrêmement cohésif et soudé, rassemblé avec un objectif commun, en l’occurrence la vie chrétienne pour celle-ci. Il y règne une hiérarchie forte, et un ensemble de RÈGLES, respectées par tous pour en faire partie. Il y a un fort esprit de partage, un peu comme dans les kibboutz, où les besoins individuels sont pris en compte et en charge par le groupe collectif communautaire, chacun recevant ensuite selon ses propres besoins. Les plus forts s’occupent des plus faibles, chacun donnant le maximum de ce qu’il peut donner, mais à sa mesure. Par son essence et son fonctionnement intrinsèque, les partages avec le «monde extérieur» sont assez limités. Des personnes externes peuvent y être accueillies, à condition de partager la vie communautaire, mais par contre les membres de la communauté ne vont presque pas sortir de la communauté. Là où je voudrais en venir, c’est raconter et dire comment et à quel point j’ai été PROTÉGÉE voire soutenue au sein de cette vie communautaire. J’y ai véritablement vécu dans une BULLE, à part, en dehors du monde, et en dehors du monde du travail. Le plus souvent à la campagne dans de magnifiques domaines, sauf à Manille, malheureusement pour moi, en pleine ville. Comme je m’effondrais régulièrement, sorte de «crises», ou d’effondrements intérieurs total, plus ou moins longs, dès que j’étais soumise à trop de pression, de stress, de responsabilités, on avait fini par me reconnaître et me considérer comme fragile (comme si j’avais une sorte de handicap invisible et inconnu, ni nommé ni diagnostiqué) et dès lors, on ne me confiait plus de grosses responsabilités. Ce qui fait que comparée à d’autres, entrés en même temps que moi et du même âge, je n’évoluais pas, et on ne me proposait jamais d’études, par exemple. Mes collègues ont vite «gradé», montés les échelons et pris beaucoup, et de plus en plus, de responsabilités, certains ayant même pu faire des études supérieures universitaires de très haut niveau. Ce ne fut pas mon cas. Aux Philippines, j’avais dû supplier pour arracher l’autorisation de participer aux cours de tagalog, langue du pays, au lieu d’uniquement faire la cuisine commune… En Normandie, j’avais fait des pieds et des mains pour être autorisée à recevoir la formation intellectuelle des cours, donnés pendant une année, aux jeunes venant du monde entier, et ne pas faire uniquement la lessive commune…
Revenons à ma petite BULLE en communauté, ou COCON, dans lequel je suis passée de chenille maladroite pour en sortir papillon pouvant se déployer, après douze années de vie en chrysalide communautaire. J’y ai APPRIS et mémorisé les relations humaines, pris des COURS d’écoute active et d’accompagnement à l’écoute, développé une forme d’écoute empathique des autres et de l’humanité blessée, plus que moi parfois... Par contre, concrètement, en dehors du fait de passer mon permis de conduire dans les montagnes suisses, j’ai peu appris de la «vraie» vie, pratique-ordinaire-quotidienne. Je n’étais jamais allée dans une administration française, puisque c’était d’autres qui en étaient responsables pour la communauté; je ne savais pas emmener une voiture au garage ni changer un pneu ou vérifier un niveau d’huile puisqu’un frère de la communauté s’en chargeait; je n’allais jamais dans les magasins puisque ce n’était pas ma responsabilité; je n’avais pas à tenir un budget puisque tout était mis en commun et que le frère économe s’en occupait pour tous, etc. Et je ne connaissais quasiment pas le monde du travail normal/classique. Je ne savais même pas ce qu’était une assurance responsabilité civile, puisque c’était un responsable qui gérait cela pour la communauté. Je vivais ainsi dans une sorte de milieu pas vraiment fermé mais bien séparé du monde et assez clôt.
Ce fut toutefois mon temps, mon espace communautaire de lumière: mes années-lumières.
«Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. […] La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus: une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie». Prologue du livre: Là où chantent les écrevisses, Delia Owens.
La tourbière de mort de mes difficiles années d’enfance et d’adolescence, avec leurs traumatismes, ont macérés dans le bain de la vie communautaire, qui est venue réparer beaucoup de blessures, les embaumer, les oindre de consolation, et les cicatriser par l’amour fraternel reçu et à travers la prière/méditation chrétienne vécue.
Pendant mes 12 années de vie communautaire,
même si le rythme de vie vie était relativement équilibré, il y avait peu de temps libre, sauf deux ou trois heures environ le dimanche après-midi; pendant lesquelles je faisais mon repassage personnel et le ménage de ma chambre hebdomadaire, voire la sieste… Et il y avait uniquement deux semaines de vacances par année, au maximum. On me confinait donc dans des tâches le plus souvent matérielles et répétitives. Cette vie et ce travail en SILENCE et SEULE la plupart du temps me convenait particulièrement bien. L’heure de lecture ajoutée à l’heure d’oraison-méditation silencieuse, obligations quotidiennes immanquables, me restauraient intérieurement et me permettait de bien vivre la vie collective, de ne pas être en saturation. D’autant plus que j’avais plein de stratégies pour les repas, ceux non pris en silence, les jours de fêtes ou les jours où il y avait beaucoup d’accueil de nombreuses personnes de l’extérieur: lorsque je me sentais proche de la saturation sensorielle et relationnelle, je choisissais systématiquement et mathématiquement, calculant en avance mentalement mon stratagème, de m’asseoir, soit à côté du plus taiseux, où carrément à côté du plus bavard. Ainsi cela m’évitais de devoir interagir socialement, j’étais carrément tranquille! Je pouvais rester ainsi en périphérie du groupe, sans être en marge: INVISIBLE.
La vie communautaire était finalement un «SYSTÈME» qui me convenait bien, et en quelque sorte qui respectait mes besoins les plus profonds. Besoin de silence, de ROUTINES, de RITUELS, de solitude, de codes sociaux explicites, d’affection sans jugement, d’acceptation d’être moi-même si différente, de non-attentes sociales, de non-pression, d’apprentissages, de sens.
VIVRE.
Wangmo
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